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Vers une concertation autour de l’enseignement des habiletés de la pensée

Dans la foulée du Plan d’action pour la réussite en enseignement supérieur 2021-2026 (PARES), un groupe de travail a été mandaté par le Ministère pour proposer des recommandations afin d’améliorer la réussite des premiers cours de français et de philosophie. Dans son rapport publié en juin, le sous-comité d’experts et d’expertes en enseignement de la philosophie en appelle à une plus grande concertation des acteurs du milieu de l’éducation autour de la formation générale.
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Crédit: Josh

Au terme d’une vaste consultation auprès de 33 départements de philosophie, le comité d’experts et d’expertes en appelle à une plus grande mise en commun des connaissances, notamment en ce qui concerne les méthodes pédagogiques reconnues, l’encadrement des personnes étudiantes et le dépistage des étudiants et étudiantes à risque.

« L’objectif de nos recommandations, c’est de tendre vers un professionnalisme collectif. C’est un appel à faire plus de transfert des connaissances sur l’enseignement de la philosophie, plus de réseautage entre enseignants, et plus de recherche en pédagogie et en didactique de la philosophie », résume Sylvain Dubé, conseiller pédagogique au Cégep de Granby et membre du comité de rédaction du rapport Regards croisés sur les conditions de réussite éducative des premiers cours de littérature et de philosophie au cégep.

Sylvain Dubé, conseiller pédagogique au Cégep de Granby

Faire acquérir les habiletés de la pensée aux étudiants et étudiantes

Bien que le premier cours de philosophie propose aux étudiants et étudiantes la lecture de textes, il n’en demeure pas moins qu’il vise aussi à les amener à traiter d’une question philosophique, une condition préalable à la réussite du cours. Le traitement d’une problématique philosophique, toutefois, nécessite l’acquisition de différentes habiletés de la pensée par l’étudiant ou l’étudiante.

Dans leur rapport, les membres du sous-comité en appellent à une définition plus précise des habiletés de la pensée nécessaires à la réussite des trois cours de philosophie. Le comité recommande aux départements d’intégrer des objectifs d’apprentissage associés à ces habiletés de la pensée dans leurs plans-cadres.

« Les habiletés de la pensée, ce sont l’ensemble des ressources à notre disposition pour exercer une pensée critique. Il ne faut pas penser qu’elles vont naître subitement chez les étudiants par le seul fait de lire Platon ou Aristote. En tant qu’enseignant de philosophie, il faut être conscient des habiletés qu’on veut développer dans chacun de nos cours, comme problématiser, mettre en contexte ou mettre en opposition. Par la suite, il faut identifier des méthodes pédagogiques qui permettent de développer ces habiletés de la pensée », explique Sylvain Dubé.

Vicki Plourde, enseignante de philosophie au Cégep Garneau.

Vicki Plourde, enseignante de philosophie au Cégep Garneau et membre du comité de rédaction du rapport, souligne tout l’intérêt pour les enseignants et enseignantes de constituer des lieux de concertation autour des bonnes pratiques en enseignement des habiletés de la pensée.

On s’est rendu compte que dans les formations universitaires en enseignement de la philosophie, on ne retrouve pas de cours sur l’enseignement de la pensée critique.

« On s’est rendu compte que dans les formations universitaires en enseignement de la philosophie, on ne retrouve pas de cours sur l’enseignement de la pensée critique. Je pense que chacun des profs a vraiment à cœur de développer les habiletés de la pensée chez leurs étudiants, mais on s’est demandé s’il n’y avait pas une façon de collectiviser nos ressources et nos bonnes pratiques », résume madame Plourde.

Financer la recherche en didactique de la philosophie

« On parle beaucoup de pédagogie en philosophie collégiale, mais peu de didactique. La didactique, c’est le fait de se questionner sur le rapport entre l’étudiant et la connaissance qu’on veut lui transmettre. Par exemple, quelles sont les entraves qui font en sorte que c’est difficile pour les étudiants d’apprendre à philosopher ? Quelles méthodes adopter pour mieux les aider ? », clarifie Sylvain Dubé.

Les entraves sont bien réelles. Les étudiants et étudiantes seraient de plus en plus nombreux à entreprendre leur parcours collégial avec une faible autonomie en lecture, tel que le relatent les départements de philosophie sondés.

Pour y arriver, ça prend l’implication des enseignants, mais aussi des organismes subventionnaires, du ministère de l’Enseignement supérieur et des directions des cégeps, afin de stimuler la recherche en enseignement de la philosophie.

C’est pourquoi le rapport préconise le financement de la recherche en didactique de la philosophie au niveau collégial, qui est quasi inexistante au Québec. « Pour y arriver, ça prend l’implication des enseignants, mais aussi des organismes subventionnaires, du ministère de l’Enseignement supérieur et des directions des cégeps, afin de stimuler la recherche en enseignement de la philosophie. Nous en appelons à une prise de conscience collective au Québec », plaide Sylvain Dubé.

Dans le réseau, de nombreuses initiatives ont été mises en place localement pour mieux encadrer les étudiants et étudiantes en difficulté, notamment en lecture de textes philosophiques. Citons notamment les nombreux centres d’aide en philosophie et le site web Philo-Aide. Le réseau manquerait toutefois de communautés de pratiques pour le partage et l’innovation pédagogique, selon les membres du sous-comité.

« Je donne des ateliers d’aide en philosophie au Cégep Garneau. Malheureusement, ce n’est pas une pratique que je partage avec d’autres personnes qui font la même chose. Il n’y a pas cette facilité de réseautage en ce moment, pour échanger sur nos pratiques et évaluer nos pratiques », regrette Vicki Plourde.

Uniformiser le dépistage des étudiants et des étudiantes à risque

Les enseignants et enseignantes de philosophie passent beaucoup de temps à diagnostiquer les étudiants et étudiantes à risque, en particulier à la première session, comme le relève Sylvain Dubé. Pourtant, des mesures simples permettraient d’épargner temps et énergie au corps professoral, qui pourrait se concentrer davantage sur la matière.

« On constate qu’il y a un besoin chez les enseignants d’avoir accès à davantage de données sur leurs étudiants afin de savoir dès le début du semestre qui a besoin d’aide. Par exemple, la moyenne générale au secondaire est un excellent indicateur. Les données existent, mais étrangement, les professeurs n’y ont pas accès. Connaissant mieux les étudiants, le prof va être meilleur, car il va connaître son groupe », explique monsieur Dubé.

Les membres du sous-comité de philosophie recommandent par ailleurs l’élaboration par le Ministère d’un test diagnostique en lecture adapté à la philosophie. Ainsi, tous les étudiants et étudiantes nouvellement arrivés au cégep pourraient faire l’objet d’une évaluation avant même le début de leur parcours en philosophie.

Depuis l’automne dernier au Cégep de Granby, un cours de renforcement en philosophie a été rendu obligatoire pour les étudiants et étudiantes dont la moyenne générale au secondaire est en dessous de la barre des 70 %. « Le cours de renforcement, d’une durée de deux heures par semaine, a notamment pour objectif d’aider les nouveaux étudiants plus faibles à bien lire en philosophie. Si j’avais eu un outil de diagnostic valide, j’aurais aimé l’utiliser pour savoir qui sont les étudiants qui devraient aller dans le cours de renforcement, mais puisque cet outil n’existe pas, on se base sur la moyenne au secondaire », explique Sylvain Dubé.

Valoriser la formation générale

Des solutions existent pour soutenir la réussite des étudiants et des étudiantes aux cours de philosophie. Le sous-comité d’experts et d’expertes en enseignement de la philosophie souligne toutefois que la mise en œuvre des solutions nécessite une reconnaissance collective de l’importance des cours de formation générale, dont les cours de philosophie et de littérature, qui offrent aux étudiants et étudiantes une formation citoyenne nécessaire à travers la transmission d’un fond culturel commun.

Un récent rapport de la Fédération des cégeps a fait état d’un écart de réussite entre le premier cours de humanities du réseau anglophone, qui prévoit une formule multidisciplinaire « au choix », et le premier cours de philosophie du secteur francophone, moins bien réussi par les étudiants et étudiantes. Dans ce contexte, les membres du sous-comité craignent une remise en question du cursus actuel en philosophie dans le réseau francophone.

« Il y a un débat historique sur l’importance de la philosophie et de son utilité, évoque Sylvain Dubé. Pour revaloriser la formation générale, je pense que nous devons réaffirmer les fondements de son utilité. La pensée rationnelle, la pensée critique et l’histoire des idées occupent une place prépondérante dans le développement du citoyen, mais aussi de l’humain », conclut-il.

Cet automne, les recommandations du sous-comité sont sur la table de la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry. Une réaction est attendue.